La langue de Danis est une langue poétique à part entière. Elle invente des sonorités, des images, une grammaire, des rythmes qui lui sont bien propres. Sans être pourtant liée à l'accent québécois, elle inscrit des respirations, réclame du souffle, de la vitalité.
C'est une langue pour être dite, une langue de théâtre.
En interrogeant la scène et sa capacité à produire des images, Danis affirme la prépondérance de l'écoute sur le regard, développe l'imaginaire.
L'auteur établit des zones de flou, jongle avec les temps et nous perd dans l'histoire.
Il crée des frottements, des dissonances entre ce qui est raconté et ce qui est joué, entre le temps du récit et le temps du jeu. Dans cette écriture le récit se substitue souvent au jeu. Le comédien se dégage brusquement du personnage et raconte ce qu'il pourrait jouer. Les acteurs nous passent le relais, nous invitent à imaginer, plutôt que de voir représenter, plutôt que de consommer une émotion. Cela investit le public, relativise le théâtre, l'exalte aussi, questionne la vérité de ce que l'on voit, revendique le mensonge du théâtre. Le jeu des acteurs gagne en pudeur ; cela donne une impression de légèreté et permet la profondeur du propos.
L'objet devant nous est fait de traces, de bribes. La pièce agit par juxtaposition ou surimpression. Notre compréhension de l'histoire se construit comme un puzzle de morceaux de vie. Chaque scène donne des indices. J'imagine que si au début le public est un peu dérouté, très vite il peut découvrir des concordances, des ponts dans l'histoire. Il se retrouve alors acteur de son propre spectacle et peut rêver les yeux ouverts.
Cendres de Cailloux est un texte sombre, émouvant et certainement dérangeant, mais c'est un théâtre vital, au sens où il exalte la vie. La catharsis peut opérer. Je l'oppose à un autre théâtre, lui aussi noir, mais morbide car complaisant avec la douleur, cynique et nihiliste.
Le théâtre de Danis est important car dans le particulier de ces histoires tragiques, il relie la destinée de ces hommes avec l'insondable. Il ouvre nos regards sur le mystère de la vie en plaçant l'humain dans un monde où temps, espace et identité se télescopent, formant un miroir troublant.
Jean-Marie Doat / octobre 99
Quand je l'ai vu entrer
j'me suis dit, comme une petite fille
mon prince arrive
i va me prendre
pour me sauver de c'te chienne d'ennui
des vendredis, des samedis.
C'te chienne d'ennui
des dimanches de mort
des lundis de boulot endormant
des mardis de blanquette aux oeufs
des mercredis de programmes plates
des jeudis de paie
des vendredis de soûlerie
des mois d'ennui, de chienne d'ennui.
J'me souviens pas de ce qu'il a dit
juste le ton sur lequel il m'a parlé.
Je pensais que la terre allait me manger tout rond
en laissant dans mon bock de bière
mon cœur ouvert sur la table écaillée.
Pauvre nouille, pauvre salope de conne.
On pense être toujours forte
pis y a toujours une hostie de crotte
qui nous fait plier en deux.
Pendant deux heures de temps
j'ai pas bougé une miette.
Un oiseau sur une branche.
Cendres de Cailloux de Daniel Danis
Extrait p 16